Le 17 juin 2016, le ministre de la Communication et des relations avec le Parlement, Porte-parole du gouvernement, Remis Fulgance DANDJINOU a nié le recul observé dans la collecte, le traitement et la diffusion de l’information par les médias publics dans cette période post Transition au Burkina Faso.
En effet, le ministre en charge de la Communication, invité sur le plateau du Journal Télévisé de 20 H du 17 juin 2016 de la Radiodiffusion-Télévision du Burkina (RTB) – réagissant à un des éléments du journal, à savoir un compte rendu de la télévision nationale sur la question des reportages facturés – a fait un développement inquiétant sur la collecte, le traitement et la diffusion de l’information par les médias publics.
Il affirmait à l’occasion qu’ « On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. On ne peut pas vouloir rentrer dans l’avion présidentiel et venir être celui qui va dénigrer le travail qui est fait » par le gouvernement. Se transformant en donneur de leçon, le ministre poursuivra en ces termes : « Il y a, je pense, un devoir d’accompagnement qui est dans les statuts de la télévision nationale, dans l’action gouvernementale (…) La TNB dans ses missions a comme objectif d’accompagner le gouvernement. » Il ajoutait en outre que « Ce qui s’est passé durant la Transition, c’est une période d’exception assez particulière. La question c’est comment nous bénéficions de cet élan là pour ne pas casser ce symbolisme d’accès qui est à l’intérieur des médias. »
Ces propos du ministre font suite à un certain nombre de faits qui rappellent les pratiques des autorités sous l’ère Blaise COMPAORE, l’immixtion grossière dans la collecte, le traitement et la diffusion de l’information, qui dénature souvent le contenu des reportages. Cette intrusion expose, par ailleurs, les travailleurs des médias publics à la vindicte populaire lors de la couverture des manifestations publiques.
Le 5 avril 2016, le ministre Remis Fulgance DANDJINOU a convoqué les premiers responsables de la RTB, des Editions Sidwaya, le Coordonnateur du Service d’Information du Gouvernement (SIG), ainsi que les Rédacteurs en chef et les Chefs d’édition des médias publics pour une séance de recadrage. Il s’est agi de leur donner des injonctions de la Présidence du Faso pour le traitement de l’information et l’alignement des éléments du journal à la RTB. Il a été expressément demandé à la RTB d’ouvrir le journal d’abord par les audiences du Chef de l’Etat, puis l’actualité de la Primature et celle du Parlement.
A l’occasion de cette « conférence de rédaction » au sommet du ministère en charge de la Communication, le ministre DANDJINOU a critiqué certains reportages et émissions et s’est plaint du traitement de l’information par les journalistes. Il a estimé que certaines émissions sont des tribunes pour « insulter le gouvernement » et que les médias publics ne devraient « pas être les premiers à tirer sur le gouvernement », tout en professant que leur rôle est « d’accompagner le gouvernement ». Le message du ministre a été clair : « que celui qui ne veut pas obéir fasse comme Norbert ZONGO, démissionner et créer son propre journal », a-t-il signifié ! Il n’a pas hésité à demander qu’un reportage de la Télévision du Burkina sur le constat de la gratuité des soins le 2 avril 2016 soit retiré, car de son avis, il serait critique d’une action du gouvernement.
Le 26 février 2016, la hiérarchie policière et les responsables des Editions Sidwaya ont intimé l’ordre à l’Agence d’Information du Burkina (AIB) de désactiver (sur le site web de l’Agence) une dépêche intitulée « Fara: Des bandits ferment le local de police avant de passer à l’acte » et l’ont obligé à publier un démenti, après un communiqué de la Police. Aussi, suite à la publication, le 2 mars 2016, d’une dépêche sur l’attaque d’un poste de gendarmerie près de la frontière nigérienne dans la Komandjari, le site web de l’Agence est resté inaccessible durant de nombreuses heures.
Tous ces faits témoignent du retour des vieux démons dans les médias publics. On a encore frais en mémoire, les luttes historiques menées par le SYNATIC contre ces pratiques rétrogrades et la répression féroce qui s’en est suivie de la part des autorités du ministère de la Communication et du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP).
L’Association des Journalistes du Burkina (AJB) et le Syndicat Autonome des Travailleurs de l’Information et de la Culture (SYNATIC) tiennent à rappeler à l’opinion publique et aux autorités en particulier que ce sont de telles pratiques qui ont été sanctionnées lors de l’Insurrection populaire d’octobre 2014 par le saccage de la RTB. « L’attaque des locaux de la Télévision nationale lors des manifestations des 30 et 31 octobre dernier n’est rien d’autre que la conséquence directe de ces pratiques d’une autre époque visant à dénaturer le contenu des reportages au sein des médias publics », déclarait le Bureau National du SYNATIC lors de la première assemblée générale du syndicat après l’insurrection, le 12 novembre 2014. Le SYNATIC soulignait avec force, à l’époque, que les mêmes causes produisent les mêmes effets et invitait alors les travailleurs des médias à rester vigilants et mobilisés.
Le 4 novembre 2015 à la veille de la campagne présidentielle, lors d’une réflexion engagée – par le Centre national de Presse Norbert Zongo, la RTB et la Fondation Hirondelle – sur le statut des médias publics autour du thème « Médias d’Etat ou de service public ? Etat des lieux et perspectives vers un nouveau modèle organisationnel et économique », le représentant du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), Souleymane SAVADOGO, avait publiquement fait le mea culpa des responsables actuels du parti à propos de leur gestion des médias publics quand ils étaient au CDP. Il avait même promis que le MPP allait gérer les médias autrement, une fois au pouvoir !
Il est également regrettable que le ministre DANDJINOU et les membres du gouvernement se méprennent sur les missions de la RTB et des Editions Sidwaya qui, selon eux consistent à accompagner le gouvernement. Dans le contexte de la réforme des cadres législatif et réglementaire du secteur de la communication et de l’information engagée sous la Transition politique, de nouveaux textes ont été adoptés pour les médias publics. Les statuts de la RTB disposent, en son article 3 que la « Radiodiffusion-Télévision du Burkina a pour missions :
- d’assurer le service public de radiodiffusion et télévision sur toute l’étendue du territoire national ;
- de soutenir et participer au programme de développement économique et social ;
- de contribuer à éduquer, informer et distraire le public ;
- de contribuer à la promotion et à la diffusion de la culture burkinabè à travers le monde ».
Le cahier des charges et missions de la RTB – adopté par le Conseil des ministres du 28 octobre 2015 – détermine les conditions d’exécution de la mission de service public de cet organe. Ce décret précise que la RTB « s’engage à promouvoir une information générale et thématique, indépendante, objective et pluraliste dans le respect des dispositions des textes en vigueur » (Article 2). L’article 5 stipule qu’elle doit garantir « l’égal accès à l’antenne par les organisations politiques, philosophiques et sociales représentatives et ayant une existence légale ». La RTB devra aussi contribuer « à la réalisation des objectifs de bonne gouvernance, de développement économique, social et culturel » (Article 9). Résumer cette mission à « l’accompagnement du gouvernement » est dangereux et tend à faire des médias publics des caisses de résonnance du pouvoir ; des pratiques qui ont discrédité ces organes de presse de par le passé.
A l’évidence, le ministre DANDJINOU n’est plus dans la dynamique de recherche du professionnalisme qu’il exigeait des journalistes des médias publics au lendemain de sa prise de fonction. Il l’avait signifié au Bureau National du SYNATIC le 1er février 2016 au cours de leur première rencontre. En clair, le ministre en charge de la Communication et le pouvoir de Roch Marc Christian KABORE, à travers leurs attitudes, sont en train de remettre en cause les acquis de l’Insurrection populaire au niveau des médias publics ; au moment où ceux-ci ont gagné en crédibilité dans la collecte, le traitement et la diffusion de l’information depuis l’avènement de l’Insurrection populaire d’octobre 2014.
En outre, l’AJB et le SYNATIC observent que ces actes interviennent dans un contexte où les travailleurs des médias publics attendent les réponses à leurs nombreuses préoccupations, objets de luttes depuis 2013. Aujourd’hui, la satisfaction de ces préoccupations se fait toujours attendre.
C’est pourquoi l’AJB et le SYNATIC :
- dénoncent les tentatives d’embrigadement des médias publics par le pouvoir de Roch Marc Christian KABORE ;
- exigent du ministre en charge de la Communication et du gouvernement à mettre fin à leurs immixtions dans le traitement de l’information dans les médias publics ;
- félicitent les travailleurs consciencieux qui œuvrent au quotidien pour des médias publics au service de l’intérêt général ;
- encouragent les femmes et hommes de médias à résister aux menaces, pressions, intimidations et à faire leur travail avec professionnalisme, dans le respect des règles d’éthique et de déontologie dans le traitement de l’information.
Aussi, l’AJB et le SYNATIC invitent les travailleurs des médias :
- à se mobiliser dans leurs comités et sections pour la satisfaction de leurs préoccupations ;
- et à rester à l’écoute pour tout mot d’ordre que commanderait l’évolution de la situation si leurs préoccupations n’étaient pas satisfaites.
NON à la caporalisation des médias publics !
NON à la remise en cause des acquis de l’Insurrection populaire dans les médias !
En avant pour le respect des règles d’éthique et de déontologie, gage de professionnalisme dans les médias !
Ouagadougou, le 20 juillet 2016
Pour l’AJB,
Le Président
Guézouma SANOGO
Pour le SYNATIC,
Le Secrétaire Général
Siriki DRAME