Haïti, la première nation noire a mal à sa liberté. Et pourtant, il a fallu verser du sang pour conquérir cette liberté. En obtenant son indépendance le 1er janvier 1804, l’ancienne colonie française de Saint-Domingue devient un exemple d’héroïsme. Cet affranchissement de l’homme noir inspire l’un des pères de la Négritude qui lui consacre une pièce théâtrale intitulée «La tragédie du Roi Christophe ». «Haïti, où la Négritude se mit debout pour la première fois » écrivait Aimé Césaire, allait aussi fléchir devant sa propre gouvernance. La liberté a aussi ses contraintes auxquelles « les nègres » libres ne veulent pas se conformer.
Henri 1er vient d’être intronisé roi d’Haiti « Henri vaillant guerrier, Henri vaillant guerrier, que la victoire nous ouvre les portes…» ont chanté d’une seule même voix le peuple haïtien à l’intronisation de leur roi. Un roi qui ne va pas tarder à mettre tout le monde au travail, car seul le travail leur épargnera un second asservissement.
Mais que nenni ! Les haïtiens en ont marre de ce roi qui est toujours sur leur dos. Ils veulent la liberté, ils veulent faire la bamboula. « Pauvre Afrique, je veux dire pauvre Haïti. C’est la même chose d’ailleurs. Là-bas, la tribu, les langues, les fleuves, la forêt. Villages contre villages, hameaux contre hameaux. Ici nègres, mulâtres, tripes, marabouts… partout la poussière… » se plaignait ainsi le personnage principal Christophe incarné par le comédien Aristide Tarnagda. Le peuple ira jusqu’au bout pour exprimer son ras-le-bol. Il tuera de ses mains celui qui lutte pour redonner de la fierté et une liberté durable à l’homme noir. « C’est un sentiment de mélancolie, de colère. Mais à la fois, c’est une situation que j’allais dire complexe qui continue d’interroger aujourd’hui à savoir quelle forme de société, quelle forme de gouvernance faut-il ? Existe-t-il une forme standard pour tous les peuples du monde à partir du moment où ils n’ont pas les mêmes histoires, les mêmes vécus ? Aimé Césaire pose très bien ces questions avec la tragédie du roi Christophe » a souligné Aristide.
S’il y a un personnage qui intrigue tout au long de cette pièce, c’est bien le personnage d’Hugonet. Avec sa démarche à la « capitaine Jack Sparrow », il apporte une touche originale à la pièce historique d’Aimé Césaire. Hugonet est considéré comme le bouffon du roi « Ce n’est pas qu’un bouffon. C’est une espèce d’identité divine qu’il représente. C’est un peu comme le bouffon du roi dans la société traditionnelle africaine qui peut avoir la liberté de tout dire. Il est au courant des faits et gestes du royaume. C’est un personnage qui est en avance sur le temps, qui a dépassé toute sorte de plaisir et de douleur. Il est au service simplement du roi comme étant son œil et ses oreilles cachés. Il peut se donner la liberté de dire tout ce qu’il veut au roi et d’être supérieur au peuple. C’est un être cynique en fait. » confie Emmanuel Rotoumbam qui campe avec élégance ce personnage.
Mise en scène par Christian Schiaretti, la Tragédie du roi Christophe met en lumière des maux qui ne sont pas étrangers au public burkinabè « Il n’y avait plus de place. J’ai dû insister pour accéder au lieu du spectacle et je ne regrette pas. La fin de l’histoire m’a attristé. J’ai assisté à un beau spectacle. Les comédiens étaient dans leur peau. J’ai beaucoup aimé le décor. On sent qu’il y a du travail qui a été fait. Il y avait une cohérence entre la musique, l’enchaînement des actions avec l’histoire racontée » souligne Léa Kaboré qui faisait partie des nombreux spectateurs de la soirée. La représentation continue jusqu’au 14 juillet au CITO.
Marie Laurentine Bayala