Le peuple burkinabé a appris par voie de presse et à travers les réseaux sociaux, la vente par le gouvernement du Burkina Faso, de 10% du capital détenu par l’Etat Burkinabé dans la société ONATEL SA, à Maroc Télécom, renforçant ainsi la mainmise de celui-ci dans la possession de l’ONATEL.
Cela a conduit le Syndicat National des Télécommunications (SYNATEL) à interpeler le Président du Faso au regard de sa responsabilité devant l’Histoire, dans la gestion des intérêts de l’Etat.
Pour le SYNATEL, même si le désengagement accru de l’Etat d’un secteur aussi stratégique et sensible que celui des télécommunications n’est pas une bonne chose, l’objet de l’interpellation tient au fait que ce désengagement permet le renforcement de la position d’un partenaire qui n’est pas soucieux du développement des infrastructures de télécommunications au Burkina Faso.
L’une des raisons avancées, et sans doute la principale, pour procéder à la privatisation de l’ONATEL le 29 décembre 2006, était qu’il fallait s’attacher un partenaire stratégique capable d’apporter l’investissement nécessaire au développement des infrastructures de télécommunications, vu que notre pays accusait un retard et que les moyens de l’Etat étaient limités. Un cahier des charges a été élaboré et Maroc Télécom a été choisi comme partenaire stratégique à qui 51% du capital a été cédé.
Mais le constat est que depuis cette privatisation, l’élan qu’avait pris l’ONATEL société d’Etat en matière de développement des infrastructures de télécommunications a été stoppé. L’ONATEL société d’Etat avait un plan d’équipement qui devrait voir la réalisation de gros projets d’infrastructures de télécommunications.
A l’arrivée de Maroc Télécom tous ces projets ont été abandonnés et pendant longtemps il n’y a pas eu d’investissement dans ces domaines. La défaillance de Maroc Télécom à ce niveau était telle que le gouvernement, une dizaine d’années après, ayant pris la mesure du danger que cela représentait pour notre pays, a décidé d’injecter plusieurs milliards de francs CFA pour construire des infrastructures de télécommunications au bénéfice de la nation. Cela signifie que le repreneur n’a pas respecté ses engagements en matière d’investissement.
Le niveau de développement des infrastructures de télécommunications que l’Etat espérait en 2006 et qui l’avait poussé à céder 51% du capital de l’ONATEL, il ne l’a pas obtenu. Et ce retard est énorme aujourd’hui pour notre pays. Nous en avons fait le constat en octobre 2016 avec le Premier Ministre et celui-ci était d’accord avec nous.
De façon concrète au niveau des populations, cela se traduit par des difficultés d’accès aux services de télécommunications (dégradation de la qualité de services, lenteur des connexions internet, insuffisance de couverture, abandon du téléphone fixe…).
Au niveau économique, le cahier des charges fait obligation de recruter du personnel. Maroc Télécom n’a pas respecté cela, car depuis une dizaine d’années, le recrutement est quasiment nul à ONATEL SA.
En matière de gestion de l’entreprise, les travailleurs ont toujours dénoncé une gestion opaque qui pourrait faciliter une fuite organisée de capitaux. L’Etat, au moment de la privatisation et la répartition des postes, ne s’est pas donné les moyens de contrôle de la gestion de ONATEL SA. Cette question a également été abordée en octobre 2016 avec le Premier Ministre. Il a expliqué cette situation par le fait que l’ONATEL a été privatisé dans des conditions non transparentes mais que son gouvernement n’est pas comptable de cela. Le SYNATEL a estimé qu’au nom de la continuité de l’Etat, la responsabilité de ce gouvernement est entièrement engagée dans la situation de l’ONATEL liée à sa privatisation.
Le SYNATEL, soucieux du devenir de l’entreprise a déjà transmis au gouvernement un mémorandum sur la situation de l’ONATEL. Les aspects évoqués plus haut y figurent. D’autre part, suite à son congrès tenu en 2016, le SYNATEL a adressé au gouvernement une plateforme dans laquelle il demandait au gouvernement de faire le bilan de dix ans de privatisation de l’ONATEL. Ce bilan permettrait de passer en revue les conditions de privatisation, le respect des engagements des parties, la gestion etc. et de s’assurer que les intérêts du Burkina Faso sont préservés et au besoin reconsidérer certaines clauses. Le Premier Ministre avait reconnu la nécessité qu’il y avait à faire ce bilan et avait instruit le ministre en charge du développement de l’économie numérique et des postes d’initier quelque chose dans ce sens. Le SYNATEL était donc dans l’attente de ce bilan.
Sans faire ce bilan qu’il a pourtant jugé nécessaire, et mieux sans boucler le processus de privatisation notamment la cession de 6% aux travailleurs, le gouvernement montre, comme pour dire aux travailleurs de l’ONATEL et aux citoyens, que son souci n’est pas tant, que Maroc Télécom respecte ses engagements de développer les infrastructures de télécommunications, mais plutôt qu’il soit seulement prêt à acheter des actions pour permettre au gouvernement de résoudre un problème conjoncturel, a décidé de lui céder en plus 10% des parts de l’Etat.
Le SYNATEL proteste vigoureusement contre cette transaction opérée par le gouvernement qui fragilise davantage l’Etat et renforce les capacités d’un partenaire qui se soucie peu du développement du Burkina Faso. Le SYNATEL appelle le gouvernement à renoncer à cette cession qu’il vient de faire et exige le bilan de la privatisation de l’ONATEL.
Le SYNATEL estime que le gouvernement fait preuve d’un manque de vision en se désengageant d’une entreprise aussi stratégique comme l’ONATEL alors que l’Etat marocain lui-même détient une part importante du capital de Maroc Télécom.
Quoiqu’opposé à une perte de souveraineté de l’Etat dans ce secteur stratégique des télécommunications, le SYNATEL pense que s’il y avait une nécessité absolue pour le gouvernement de céder les 10%, il aurait pu le faire à des investisseurs nationaux.
Le SYNATEL doute qu’au bilan de l’Histoire, ce gouvernement ne soit reconnu comme celui qui se serait assis sur la gouvernance chaotique constaté ces dernières décennies, pour fragiliser notre Etat, enfoncer notre pays dans une crise structurelle et favoriser sa recolonisation par le biais des multinationales.
Ouagadougou, le 24 avril 2018
Pour le Bureau National
Le Secrétaire Général
So Soulémane