Le samedi 4 juin 2016, le Président par intérim du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), Achille TAPSOBA et le responsable de la trésorerie du parti Zembendé Théodore SAWADOGO ont été débarqués du vol Air Burkina à l’aéroport de Ouagadougou, alors qu’ils se rendaient à Abidjan. Pour quelles raisons le pouvoir actuel a-t-il empêché les dirigeants du CDP de se rendre en Côte d’Ivoire alors qu’ils ne sont pas interdits de voyager ? Comment le CDP a accueilli la libération de son Président ? Comment se porte le CDP au lendemain des élections municipales ? Autant de questions que le Président par intérim du parti a répondues sans détour dans un entretien réalisé par Mahamadou BA pour la RTB Multimédia.
Mahamadou BA : Achille TAPSOBA, on dit de vous, proche du Président Roch Marc Christian KABORE. Et que votre départ du CDP pour le MPP est imminent. Est-ce vrai ?
Achille TAPSOBA : Je crois que celui qui a dit cela ou celui qui tient de tels propos n’est pas sérieux. Il ne se prend pas lui-même au sérieux. Soit, c’est une méconnaissance totale de mon historicité politique en tant qu’homme politique, soit alors, c’est une plaisanterie de mauvais goût. Il ne m’est jamais venu à l’esprit de quelle que manière que ce soit de rejoindre qui que ce soit dans le sens politique. J’ai mon autonomie politique et je me décide politiquement à aller là où je veux, ou de rester là où je suis. Et c’est le cas ici.
La proximité avec l’actuel Président du Faso, Roch Marc Christian KABORE, était une proximité construite autour du parti et dans la gestion du parti, le CDP. Donc, ceux qui me connaissent et qui le connaissent, savent qu’en dehors de cette possibilité politique, ni individuellement, ni socialement, nous ne vivons de relations plus exceptionnelles que celles que nous avons avec les autres camarades. Je dois le dire également par honnêteté intellectuelle, le président Roch marc Christian KABORE, au temps où nous étions ensemble au CDP, nous partagions largement des points de vue pour lesquels nous travaillions ensemble. Et donc, de ce point de vue, je ne peux pas le cacher. J’ai eu l’opportunité de beaucoup travailler avec lui parce qu’il était président du parti pendant que j’étais respectivement Secrétaire à l’Organisation ou Secrétaire chargé de la Communication ou Secrétaire Général du parti. J’ai également travaillé dans ce même cadre avec moins de proximité avec les Simon, avec Salifou DIALLO, et avec d’autres camarades.
Donc, de ce point de vue, il n’y a aucun élément dans mon parcours politique qui puisse me permettre aujourd’hui après avoir pris la décision de rester au CDP quand d’autres quittaient le CDP et de continuer à poursuivre le combat du CDP, de quitter le CDP pour quoi que ce soit. Si je dois le faire, c’est parce qu’il y aura une situation dans laquelle que j’aurai estimé qu’en toute âme et conscience je devrais le faire. Mais pour l’instant, je le dis et je le répète, je pense que le CDP est un parti qui a encore beaucoup de choses à faire dans ce pays là et qui est capable de dépassement pour contribuer encore au développement du Burkina Faso. Et je suis tellement convaincu de cela que le fait que je sois le premier responsable aujourd’hui, j’en ai les ressources avec les camarades membres de la Direction Politique Nationale pour qu’on aille dans ce sens, de pouvoir revenir sur la scène politique dans le sens du leadership national en vue de continuer à apporter une contribution de ce parti là au peuple burkinabè.
Et comme je le dis également, le CDP est un parti qui a été dirigé pendant plus de vingt-cinq ans par les trois premiers responsables du MPP, aujourd’hui et tous les actes que le CDP a posé, portent leurs sceaux, leurs marques, leurs empreintes et leur intelligence. De ce fait, si on estime que le CDP, pendant vingt-cinq ans, n’a commis que des erreurs, on connait l’adresse de ceux qui ont fabriqué ces erreurs. Mais si on estime que le CDP s’est bien comporté, alors c’est à leur bénéfice.
Toutefois, je dis encore que cette situation m’amène à dire que le CDP, en tant que parti dans lequel je suis, a commis des erreurs. Certes, et des erreurs souvent dans la gestion des affaires du pays, on a commis des erreurs, on a eu des insuffisances, et dans l’appréciation de la crise qui concernait la modification de la constitution, on a eu des erreurs d’appréciation, je dis des erreurs d’appréciation et je m’en expliquerai lorsque le moment serait venu. Mais de là à dire que le CDP doit être voué aux gémonies, je dis que c’est une erreur grossière d’appréciation et de lecture de l’histoire du pays.
Ecouter l’interview avec Achille TAPSOBA (mp3, 13,3 Mo, 29mn 13s)
Le samedi 4 juin 2016 vous avez été débarqué en compagnie de votre camarade de l’avion qui devait vous emmener à Abidjan. Que s’est-il passé exactement ?
Oui effectivement le samedi 4 juin, nous avions l’intention de nous rendre en Côte d’Ivoire, à Abidjan, et j’étais avec le camarade Zembendé Théodore SAWADOGO qui est le responsable à la trésorerie du parti. Nous avons pris nos billets et nous avons donc prévu de partir le samedi 4 juin avec le vol de Air Burkina de 17 h 15 mn. Nous nous sommes rendus à l’aéroport, la convocation était à 15 h. Nous avons fait les formalités d’enregistrement sans problème, puis ensuite nous avons fait les formalités de Police sans problème et nous avons même fait les formalités d’embarquement sans problème.
Et c’est au moment où nous étions dans l’avion en attente du décollage que le personnel naviguant du vol Air Burkina nous a signifié que nous deux, nous étions demandés par le Chef d’escale qui se trouve en bas de la passerelle. Nous sommes redescendus donc de l’avion pour savoir de quoi il s’agissait. Et c’est là que le Chef d’escale, assisté de la Police spéciale de l’aéroport, nous a fait comprendre que nous ne pouvons pas voyager. Je lui ai dit est-ce qu’il y a un problème particulier et si oui lequel ? Il dit non. Que, à sa connaissance, on ne lui a pas parlé de problème particulier. On lui a simplement dit de nous dire qu’on ne peut pas voyager. J’ai dit mais quel est le motif ? Pour quel motif vous nous empêchez de voyager ? Il dit qu’il ne connait pas le motif. J’ai dit mais dans ces conditions, qu’est-ce qui se passe ? Et pourquoi, vous, vous pouvez nous empêcher de voyager parce que jusqu’à preuve de contraire, je n’ai pas eu de notifications d’une quelconque autorité, ni judiciaire, ni administrative, ni politique que je ne jouissais plus de mon droit d’aller et de venir au Burkina Faso. Alors qu’est-ce qui se passe, je veux comprendre. Il dit qu’il a reçu des instructions. J’ai dit des instructions de qui ? Il dit de sa hiérarchie. J’ai dit la hiérarchie c’est qui ? Il me dit non qu’il ne peut pas me dire de qui il s’agit, que c’est simplement la hiérarchie. Et que lui il a reçu des instructions qu’il entend bien exécuter. J’ai dit OK. Comme c’est vous qui avez la force et que vous faites irruption dans nos libertés pour nous contraindre par la force et non pas par le droit à nous comporter d’une certaine manière, on n’a pas le choix. Mais sachez que c’est une entorse à la liberté de circuler dont nous jouissons parce que, jusqu’à preuve de contraire, personne de nous deux n’a été privé de ses droits civiques et politiques. Et nous n’avons pas non plus reçu quoi que ce soit comme notification. Et donc, de ce point de vue-là, bon, c’est parce que nous n’avons pas le choix.
J’ai appelé donc mon avocat, qui m’a conseillé d’obtempérer. S’il n’y a vraiment pas d’éléments précis d’obtempérer; et que le lundi, il allait savoir de quoi il s’agissait.
Voilà comment on nous a débarqué de l’avion, on nous a remis nos bagages qui étaient déjà embarqués et nous sommes repartis chez nous. Et jusqu’à l’heure où je vous parle, aucune autorité ne nous a convoqués pour dire quoi que ce soit.
Mais est-ce que vous êtes allés vers l’information pour comprendre ?
Non. Notre avocat a tenté de se renseigner, mais c’était la nébuleuse. Jusqu’à hier, (l’entretien a eu lieu le 08 juin 2016) par voie de presse, nous avons appris de la bouche du Ministre en charge de la Sécurité, Simon COMPAORE face à un journaliste qui lui posait la question sur cette affaire que notre cas n’est pas à particulariser, que d’autres Burkinabè sont dans la même situation que nous et que ce n’est pas nous seulement qui sommes concernés. Donc il n’y a rien à dire de plus que cela; et que c’est une question de sécurité. Voilà de la façon cavalière avec laquelle un Ministre de la République se comporte. C’est vraiment regrettable. Il y en a qui confonde des époques des régimes d’exception et la République avec ses règles et ses valeurs. C’est vraiment regrettable. Donc voilà la scène telle qu’elle s’est passée.
J’estime que face à cette situation, nous avons donc au niveau du parti, en plus de l’avocat, nous avons rédigé un communiqué de presse pour informer l’opinion qui va paraitre dans les jours qui viennent. Au niveau du Chef de file de l’opposition à qui nous avons rendu compte, il prendra également à son niveau des dispositions par rapport à cette question.
Je dois dire que sur le plan légal, les autorités ont certainement le droit d’interpeller les citoyens. Elles ont le droit de restreindre des libertés selon les textes en vigueur. Mais le droit qu’une autorité ne peut pas exercer, c’est le droit de prendre ses humeurs pour des règles. C’est le droit de prendre des informations qu’elle seule détient pour des motifs suffisants pour exercer la contrainte par force sur un citoyen sans premièrement l’interpeller, deuxièmement sans l’en informer et troisièmement lui dire exactement de quoi il s’agit. C’est vraiment cela l’arbitraire.
Et je suis au regret de constater que les nouvelles autorités, le gouvernement actuel et en l’occurrence le Ministre en charge de la Sécurité, comme maintenant nous avons une adresse, se comporte de façon totalement arbitraire et que tout cela est étranger à la République. Ce n’est pas parce qu’on a la force de l’Administration, la force de l’Etat, la force politique, qu’on doit se croire tout permis dans la République. La République, c’est quand même un ensemble de valeurs. Et l’une des premières valeurs de la République, c’est le respect du droit. Le droit du citoyen, le droit des collectivités et des individualités. Et ça, ce n’est pas libre à un Homme d’Etat, à un responsable administratif de s’en passer. C’est une obligation pour tout le monde; sinon il n’y a plus de République. Ça devient un Etat d’exception. Et cela, nous ne sommes pas prêts à ce que des régimes d’exception s’installent à travers des comportements singuliers ou des comportements de certains groupes d’individus.
Quelles étaient les raisons de votre déplacement sur Abidjan ?
Je dois dire d’abord que ce n’est pas la première fois que je vais sur Abidjan. Depuis que je suis le premier responsable du parti, j’ai effectué trois déplacements sur Abidjan. C’est très simple.
A Abidjan, nous avons des Burkinabè qui ne sont pas des moindres et ils sont tellement nombreux que nous avons la possibilité d’y aller pour nous adresser à ces Burkinabè là.
Pour cette fois-ci, nous avons effectivement, suite à notre campagne municipale, nous avions besoin de demander des contributions complémentaires parce que nous n’avons pas eu grand-chose pour les campagnes électorales et compte tenu des nécessités, nous avons dû contracter des dettes, des crédits pour lesquels nous sommes en devoir de payer. Nous avions donc initié cette mission pour d’abord dans l’urgence, de voir avec les ressortissants burkinabè qui y sont comment faire pour juguler cette situation là.
Deuxièmement, en ce qui me concerne en tant que premier responsable du parti, j’ai toujours eu l’obligeance de me rendre en Côte d’Ivoire selon les nécessités pour m’entretenir avec le fondateur du parti qui est le président Blaise COMPAORE, n’en déplaisent à ceux qui ne veulent pas l’entendre pour échanger avec lui sur les questions du parti. Et c’est un droit que j’exerce en toute liberté sauf si on venait à me dire que c’est interdit et qu’on me produise une loi qui l’interdise.
Pensez-vous que c’est ce dernier motif qui aurait troublé le sommeil des dirigeants actuels au point de vous empêcher d’effectuer un voyage sur Abidjan ?
Mais si à l’aéroport, on m’avait demandé le motif, j’aurai compris que pour le motif on m’aurait empêché d’y aller. Et que si c’est pour ce motif et il faut qu’ils aient le courage de me dire c’est parce que vous allez rencontrer le président Blaise COMPAORE qu’on vous interdit d’y aller. Même si les mêmes qui interdisent d’aller voir le président Blaise COMPAORE y étaient quelques jours avant. Voilà ! Là au moins on saurait que c’est la force brute et sans visage.
Donc dans votre programme, il était prévu que vous rencontrez effectivement l’ancien président Blaise COMPAORE ?
Oui! oui ! Comme je l’ai dit c’est pour moi une obligation morale, une fois à Abidjan, d’aller rencontrer le président Blaise COMPAORE. Et cela pour plusieurs raisons. Et ça, je tiens à le dire publiquement parce que je n’ai rien à cacher. Voilà ! Si j’étais parti pour autre chose, pour ne pas voir le président, je l’aurai dit également. Mais là, je sais que j’allais le voir et que ça faisait partie effectivement de mon emploi de temps à Abidjan. Je ne m’en cache pas parce que j’estime que ce n’est pas répréhensible.
Ensuite, il faut qu’on comprenne une chose. Le CDP est un parti que ceux qui sont actuellement aux affaires ont contribué à créer avec le président Blaise COMPAORE. Le CDP a donc un cordon ombilical qu’eux-mêmes ont noué avant de partir. Avant de casser leur propre cordon avec le parti il y a un cordon qui reste toujours et ce cordon là, il est normal. Il est logique. Un fondateur de parti, ce n’est pas négligeable. Et jusqu’à preuve de contraire, nous estimons qu’il y a des questions sur cette question de lien avec les actuels dirigeants du pays, il y a des questions qui ne sont pas encore réglées avec le CDP. Et je le dis haut et fort, il y a des questions qui ne sont pas encore réglées. Quel que soit le discours qu’ils ont, quel que soit le comportement qu’ils vont se donner, il y a des questions qu’ils n’ont pas réglées avec le CDP.
Quelles questions par exemple ?
Mais ce sont des questions de responsabilité de certains actes que le CDP a posé dans son histoire et qui sont leurs faits à eux. Voilà ! Il faut qu’ils aient le courage de reconnaitre ces questions-là. Et ces faits, qu’ils les reconnaissent courageusement, objectivement et qu’ils s’en excusent parce que c’est trop facile de quitter un navire où on a déposé ce qu’on a déposé et de dénoncer ce même navire. Je trouve qu’il y a un problème qu’il faut régler politiquement, mais ça, c’est entre eux et puis le CDP. Cela ne regarde pas les citoyens de façon générale. Mais soyons sérieux, le fait que le CDP ait perdu le pouvoir et que le président Blaise COMPAORE ait quitté le territoire burkinabè, ce fait là ne suffit pas pour que des responsables du CDP deviennent des anges politiques.
Comment est-ce que vous accueillez la libération provisoire de votre président Eddie KOMBOÏGO. Est-ce que c’est une victoire pour vous ?
En fait, si ça doit être une victoire, c’est d’abord pour la Justice burkinabè dans la mesure où ce que nous avons toujours dénoncé ce n’est pas le fait qu’un Burkinabè rende compte à la Justice, parce que tout Burkinabè a le devoir en cas de nécessité, de rendre compte à la justice et de rendre compte au peuple. Ce que nous avons toujours déploré, c’est plutôt le fait que pour certains actes de justice, les procédures soient escamotées et que ce soit l’arbitraire qui prenne le pas sur les méthodes qui sont reconnues comme étant les méthodes les plus rationnelles au niveau de la justice, et ne pas donc procéder de manière cavalière dans l’interpellation et dans l’incarcération des Burkinabè.
Quoiqu’on dise, la justice, c’est quand même un ensemble de règles et des procédures. Et lorsqu’on regarde la règle et on oublie la procédure, ça pose problème parce que c’est de par la procédure en matière de justice que la règle est mise en application de la manière la plus rigoureuse possible. Mais l’arbitraire quand il s’invite dans la Justice, il crée des sentiments d’une injustice. Et c’est ce que nous avons toujours dénoncé dans l’arrestation de notre président et des autres camarades. Il en est de même pour d’autres Burkinabè qui ne sont pas des militants du CDP mais qui ont connu des arrestations de même nature et dans les mêmes conditions fondées sur une interpellation qui ne repose sur aucun chef d’accusation clair, ni des motifs sérieux et qui font l’objet de privation de liberté sans qu’il n’y ait effectivement des procédures qui amènent la justice à les priver de leur liberté.
Tout cela donc nous a amené à un moment donné à dire que notre Justice battait de l’aile. Et cette situation s’est exacerbée lors de la Transition lorsque la Justice s’est mise à faire des interpellations, j’allais dire sans suivre les procédures normales, à incarcérer nos gens sans procès, à les maintenir en prison pendant plusieurs mois sans qu’il n’y ait même l’ombre d’un procès dans ces genres de démarche. Alors c’est ce que nous avons déploré. C’est pourquoi si notre président Eddie KOMBOÏGO et d’autres qui ont été libérés avant lui ont pu bénéficier de cette mesure, ce n’est pas une victoire du CDP. C’est une victoire de la Justice parce que nous estimons que c’est la Justice qui est entrain de reprendre les choses dans le sens régalien de sa fonction, de son rôle social. Et nous ne pouvons qu’encourager cela. Il y a le fait également que le Président Eddie étant en liberté provisoire, étant Président de notre parti, ça nous permet, là aussi, d’avoir beaucoup plus sa contribution pour poursuivre le travail au niveau de notre parti.
Vous parlez de victoire pour la Justice burkinabè alors que dans le même temps, certaines Organisations de la Société Civile (OSC) ont observé un sit-in devant le Palais de Justice de Ouagadougou pour dénoncer justement entre autres la libération provisoire de votre Président Eddie KOMBOÏGO. Quel est votre commentaire ?
Je pense que ces OSC sont mues par leur propre perception de la Justice au Burkina Faso. Ce sont des mobiles que nous ne partageons pas. Et nous estimons que c’est à la limite important. Je le reconnais que des Organisations de la Société Civile puissent avoir des analyses, puissent avoir des observations à faire au niveau de notre Justice en ce qui concerne la manière dont la justice s’y prend pour traiter certains cas. Cela est tout à fait normal et c’est tout à fait souhaitable.
Ce qui est regrettable, c’est d’oublier à certains moments dans ces analyses et dans ces comportements que le magistrat est un homme qui opère avec le droit. Il ne dit que le droit ou du moins il ne doit dire que le droit et ne pas tenir compte des sentiments, ni encore des humeurs de qui que ce soit ou de quoi que ce soit. Et de ce point de vue, les mises en liberté provisoire, de mon point de vue, c’est le fait pour la Justice de se rendre compte qu’un certain nombre de justiciables sont détenus et leur détention devrait pouvoir être mise en cause d’une manière ou d’une autre. Et c’est cela la liberté provisoire, pour permettre, soit au procès de pouvoir mieux s’organiser sans que la privation des libertés ne soit un frein, soit parce que la mise en liberté provisoire permet à la justice de corriger une erreur de procédures de départ qui explique la présence de certains détenus en prison. Ou alors, la mise en liberté provisoire, de notre point de vue, doit être considérée comme étant du ressort de la délibération du juge. Et le juge doit avoir une certaine indépendance d’esprit pour opérer ces genres de décisions.
On peut l’approuver, comme on peut ne pas l’approuver. Mais le juge ne doit pas être agressé, il ne doit pas faire l’objet de pression physique, il ne doit pas faire l’objet de menaces verbales ou non. Il faut donc permettre au juge d’exercer son métier en toute quiétude.
Si la décision n’est pas fondée judiciairement et juridiquement, on a la latitude en tant qu’Organisation de la Société Civile de saisir d’autres juridictions pour s’en plaindre et attaquer le juge. Le juge n’est pas un homme infaillible. Il n’est pas au-dessus de tout. Il y a également dans le processus judiciaire des règles et des structures qui permettent d’interpeller le juge lorsqu’il fait mal son travail. Mais c’est un travail qui se déroule dans la profession de la Justice et ce serait très mal que de voir des individus s’immiscer dans cette profession qui a des règles vraiment comme je l’ai dit assez rigoureuses et qui a des procédures très marquées de s’immiscer de façon gratuite ou de façon légère.
Donc j’estime que si la manifestation devait avoir lieu, elle pourrait, peut-être, concerner non pas des menaces proférées au juge, mais simplement une manifestation pour dire tout haut et tout fort qu’on n’est pas d’accord avec le juge. Bon… mais que la Justice a rendu sa décision, mais c’est cette décision qui prévaut. Nous avons été victimes nous aussi des décisions de justice qui ne plaisent pas. Nous avons été victimes dans une certaine mesure d’une absence d’impartialité au niveau de certains de nos cas comme ça l’a été lorsqu’on nous a exclus des élections. Mais nous avons estimé que la Justice a rendu son verdict et pour tout Républicain soucieux de faire en sorte que tout marche selon l’Etat de droit et que la loi puisse être toujours respectée même si elle n’est pas bien appliquée ou même si elle-même, elle est contestable que ce soit toujours ce principe là qui nous guide dans la République.
Et pour cette raison, nous n’avons jamais voulu aller à l’encontre de cette décision bien que nous l’ayons dénoncée comme étant injuste, nous avons appliqué les conséquences de cette décision et nous avons préféré présenter d’autres candidats en lieu et place de ceux que la justice a exclus. Il ne faut pas qu’on considère qu’il y a une justice pour ceux qui ont la force avec eux et une autre justice pour ceux qui sont faibles. Il ne faut pas considérer que la Justice est au service d’un groupe d’individus contre un autre dans la société. Il faut considérer en tout état de cause que la Justice doit être la même pour chacun de nous et pour tout le monde. Sinon, elle n’est plus la Justice.
D’aucuns y voient dans cette libération provisoire du Président de votre parti comme un deal avec le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), parti au pouvoir, pour nouer des alliances en vue de conquérir certaines mairies. Qu’en dites-vous ?
Bon ! Je ne pense pas qu’on puisse considérer cela comme un deal dans la mesure où comme je l’ai dit, ce ne sont pas des comportements de la Justice. Ça, ce sont des interprétations d’individus qui ont leurs perceptions que je respecte. Certains voient des deals, d’autres voient des situations normales, d’autres ont leurs points de vue réservés, etc. Mais du point de vue du fond, est-ce qu’il peut avoir un deal entre le parti majoritaire, parti au pouvoir et le CDP, parti d’opposition aujourd’hui, déchu de son pouvoir par le même parti qui est au pouvoir actuellement ? Est-ce qu’il peut avoir un deal sur la libération de nos camarades qui étaient emprisonnés injustement ? C’est ce que j’ai dit tout à l’heure, le deal aurait été soupçonné et même peut-être aurait eu une assise, j’allais dire rationnelle si nos camarades avaient été incarcérés sur des bases objectives et sur des considérations judiciaires qui tiennent débout. S’ils avaient été incarcérés et s’il y avait des chefs d’accusations qui étaient vraiment très bien fondés, il n’y aurait pas eu de problème, leur libération aurait causé problèmes. Je l’avoue. Mais ici comme je l’ai dit, que ce soit notre président Eddie, et que ce soit d’autres, je vais prendre des cas tout à l’heure. Nous, nous avons dit peut-être qu’il y avait un deal entre le parti majoritaire et la justice parce qu’on prend des gens sur des bases arbitraires; on les enferme. Bon ! Et on ne vous dit pas de quoi il s’agit. C’est le cas du Président Eddie ! Dès qu’il est rentré au Burkina, on lui a mis la main dessus le lendemain de son arrivée. On est allé l’enfermer sans pour autant lui dire quoi que ce soit. Et c’est plusieurs mois après qu’on a commencé à l’auditionner. Alors, ça frise vraiment comme je l’ai dit, c’est l’arbitraire. Bon ! Et comme l’arbitraire a la peau dure ! Et non content de cela, on hésite à pouvoir après l’avoir entendu, lui rendre sa liberté parce qu’en réalité, il n’y a aucune consistance dans l’accusation. Bon ! Mais comme vous savez très bien, je ne sais pas comment les juges ont pris leurs décisions parce que je ne sais pas sur quels éléments ils ont fonctionné pour prendre leurs décisions. Honnêtement ça peut m’intéresser, mais je peux dire que ce ne sont pas mes affaires parce que la justice c’est la justice.
Deuxièmement, ça aurait été un deal si le MPP libérait certains pour leur permettre de leur donner un coup de main pour les élections municipales. Et il y a eu cette situation que nous avons connu avec des anciens maires que nous nous réservons de citer nommément, à qui on a dit « on vous libère seulement à condition que vous nous soutenez pour les municipales. A défaut de pouvoir nous soutenir publiquement, que tacitement, vous puissiez travailler pour nous ». Et ces anciens maires, nous avons des résultats qui confirment que certainement, ils sont allés dans le sens du deal. Mais même pour ces anciens maires, s’il y a eu le deal pour leur libération, il y a toujours le caractère arbitraire de leur arrestation et de leur incarcération. Et dans leurs dossiers, qu’on nous montre les dossiers aujourd’hui, il n’y a rien dans leurs dossiers ! Et notre avocat est là pour l’attester. Il y a des dossiers d’anciens Ministres quand l’avocat est allé demander au juge d’instruction, il n’y a pratiquement rien dans le dossier. Le dossier du Ministre Salif KABORE qui avait été interpellé, incarcéré puis relâché mais il n’y avait rien dedans. On l’accusait de détournements quand il était Directeur Général de la SONABEL pour une opération qui s’est déroulée pendant que lui-même il n’était pas Directeur Général. Bon ! Ce sont des choses vraiment je pourrai dire que c’étaient des alibis pour pouvoir neutraliser notre parti. Voilà ! C’est tout ce qu’il y a comme deal. C’est le deal contre le CDP. Ce n’est pas le deal avec le CDP.
Comment se porte votre parti au lendemain des élections municipales ?
Je dois dire que notre parti se porte très bien et de mieux en mieux. Il faut le dire dans la mesure où après avoir traversé beaucoup d’épreuves contrairement à ce que d’aucuns s’attendaient, c’est un parti qui a repris encore les activités en main, qui se comporte de façon honorable sur la scène politique nationale et qui essaie de son mieux, de tirer les enseignements et de faire montre de plus de maturité dans ses approches, dans ses perceptions, dans ses prises de position. Donc je peux dire que le CDP se porte très bien.
C’est vrai que notre Président et camarade Eddie KOMBOÏGO était en prison, il a été incarcéré pendant plusieurs mois et il vient d’être bénéficiaire d’une mise en liberté provisoire et je pense que de son côté le moral y est également, le moral aussi y est au niveau du parti. Et suite à ces différentes libérations provisoires dont jouissent certains camarades qui étaient dans la même situation que lui, je peux dire que dans l’ensemble, tout se passe assez bien.
En ce qui concerne les actions du parti, nous venons de finir la première phase des élections municipales qui concernait l’élection des conseillers municipaux dans toutes les communes du Burkina Faso. Nous avons un résultat, qui bien qu’il ne soit pas à la hauteur de nos attentes, reste un résultat que nous pouvons apprécier à sa juste valeur. Et de ce point de vue, notre parti se positionne encore comme la troisième force politique sur le plan national suite à ces élections. Bon, nous pouvons estimer que nous avons encore du travail à faire et nous avons également d’autres défis que nous allons nous préparer à relever.
Achille TAPSOBA, merci.
C’est moi qui vous remercie !
Entretien réalisé par Mahamadou BA